
Réalisée le 23 septembre 2022
''C'est un sport stupide qui consiste à grimper les rochers avec les mains, les pieds et les dents.''
Lionel Terray au sujet de l'alpinisme - Les Conquérants de l'Inutile.
Proches de nos lieux de vie, très peu de sommets du Vercors sont encore, pour nous, inconnus. A côté des grands classiques du massif tels que le Pic Saint-Michel, le Moucherotte ou le Grand Veymont se dressent des sommets parfois emblématiques mais uniquement accessibles par voie d'alpinisme. On peut parler du célèbre Mont Aiguille mais également de la sortie du jour : les Arêtes du Gerbier.
Ces deux sommets correspondent aux deux seules cimes du Massif du Vercors où les techniques d'alpinisme rocheux sont requises pour leur ascension. Tout deux situés sur la barrière orientale du Vercors, cette extrémité Est du massif contraste avec les plateaux et les forêts recouvrant la majeure partie de cette zone montagneuse. La verticalité est omniprésente, quelque soit la cime, que l'on se situe tout au Nord du côté du Moucherotte ou tout au Sud, du côté du cirque entourant le village de Chichilianne. Cette muraille calcaire est le terrain de jeu des randonneurs et des alpinistes de la région grenobloise et c'est à notre tour de nous attaquer à la traversée des Arêtes du Gerbier 2109m.
Les Arêtes du Gerbier constituent l'unique chainon accessible seulement par voie d'alpinisme sur la partie Nord du Vercors. Situées au-dessus de Villard de Lans à l'Ouest et de Prélenfrey à l'Est, elles sont encadrées, avec le Ranc des Agnelons, par le Col Vert au Nord et le Pas de l'Oeille au Sud. En fonction de votre progression, il vous faudra entre 3 et 4 heures pour effectuer la traversée entre la Double Brèche et le Grand Couloir, sans parler de la marche d'approche et du retour. Cette traversée se réalise constamment sur le fil de l'arête. On enchaîne les passages vertigineux où arêtes acérées et pitons rocheux se succèdent jusqu'à atteindre l'étroite dalle sommitale du Gerbier à 2109m d'altitude.
De par son altitude, plutôt élevée pour le Massif du Vercors, et son axe Nord-Sud, la vue depuis les Arêtes du Gerbier se dégage principalement à l'Est et à l'Ouest mais également au Nord sur la suite de la barrière orientale du Vercors.
Accessibles du côté Est comme du côté Ouest, on débouche sur les arêtes depuis le Double Brèche, séparant le Gerbier du Ranc des Agnelons. De notre côté, nous atteindrons la brèche depuis la station de Villard de Lans, avec un départ depuis le Parking des Glovettes à 1240m d'altitude.
Dès le départ, les Arêtes du Gerbier s'élancent face à nous. La Double Brèche se situe sur la gauche, sous le piton rocheux qui marque une cassure dans le chainon.
La marche d'approche en direction de la Double Brèche est d'environ 1h15. On alterne forêt et alpage entre le Vallon de la Fauge et la Combe Charbonnière avant d'atteindre les pierriers comblant le pied de la falaise des Arêtes du Gerbier.
Au niveau des Alpages de la Bergerie de la Fauge. Le Roc Cornafion se dresse fièrement du haut de ses 2049m. Son arête Nord, que l'on aperçoit, partant du Col Vert jusqu'à son sommet est également une course d'alpinisme. Mais sur son versant Est, un sentier de randonnée permet d'accéder à sa cime.
On butte ensuite sur la paroi de la barrière orientale. Le guide met en place la cordée et nous livre quelques indications sur la marche à suivre et sur l'utilisation du matériel : coinceur, longe, becquet. Tout un vocabulaire et des techniques qui ne sont aucunement familiers pour les randonneurs que nous sommes.
On grimpe progressivement dans la Double Brèche. Personne ne nous précède ou ne nous suit. Heureusement, parce qu'il n'est pas rare que quelques cailloux dégringolent au fur et à mesure de notre ascension. La Double Brèche est l'un des passages les plus délicats de cette course : une roche froide, polie et humide qui peut rendre périlleux certains ressauts. Doucement mais surement nous débouchons sur le fil des Arêtes du Gerbier.
Malgré quelques bourgeonnements nuageux au-dessus du Vercors, la vue reste dégagée sur les massifs environnants : Chartreuse, Bauges, Mont-Blanc, Belledonne, Grandes-Rousses, Arves, Taillefer, Ecrins et Dévoluy. La métropole grenobloise est également de la partie.
La suite de la progression s'effectue sur le fil des Arêtes du Gerbier. La roche adhère davantage que dans la Double Brèche et de nombreuses prises, pour les pieds ou pour les mains, sont présentes sur le parcours. On évolue donc tranquillement entre la Grande Moucherolle d'un côté et le Lac du Monteynard de l'autre.
Les nuages sont suffisamment élevés pour ne pas encombrer les cimes vertcomicoriennes. Au détour d'une arête, le Mont Aiguille 2087m se devine sur la gauche du Gerbier.
Sur l'arête, le vide est constamment présent, à l'Ouest comme à l'Est. Mais malgré cela, la course ne présente pas de difficultés majeures. Il ne faut simplement pas avoir le vertige.
Le Vercors est, ce jour-là, l'unique massif enquiquiné par la nébulosité. A l'Est, quelques sommets majeurs des Alpes françaises sont seulement chapeautés par un léger voile d'altitude (de gauche à droite) : Grand Pic de Belledonne, Pic de l'Etendard, Pic Bayle, Pic du Lac Blanc, Aiguilles d'Arves, Aiguilles de la Saussaz, Aiguille du Goléon, Grand Taillefer, Meije, Râteau, Grande Ruine, Aiguille du Plat de la Selle, Rochail, Pointe de Malhaubert, Barre des Ecrins, Grand Armet, Roche de la Muzelle. Les glaciers des Grandes-Rousses et des Ecrins font grise mine après un été caniculaire et extrêmement sec.
En quelques dizaines de minutes, après la Double Brèche, on atteint l'un des passages les plus vertigineux de cette course rocheuse : le Rasoir. Impressionnant mais pas vraiment difficile. Bien que l'arête soit à cet endroit là très étroite, les prises pour les mains et les pieds sont omniprésentes pour cette dizaine de mètres au-dessus du vide.
On s'assure via deux techniques : une corde tendue et des becquets entre deux alpinistes. Les becquets consistent à placer la corde autour d'un rocher pour que celui-ci, en cas de chute, retienne l'individu. On peut en observer sur les photos ci-dessus.
On continue en direction du point haut des Arêtes du Gerbier tout en n'oubliant pas, par moment, de regarder en arrière : Grenoble, le Chartreuse et le Nord du Vercors comblent le paysage.
Peu de monde sur l'arête ce jour-là. On ne croisera ainsi personne lors de notre course. On peut donc évoluer à notre rythme. Par moment, quelques alpinistes émergent sur l'arête mais nous ne croiserons aucunement leur route.
Par moment, les nuages caressent la pointe rocheuse nous faisant face. Mais ils resteront discrets pour la plupart. Le piton rocheux face à nous ne constitue pas le culmen des Arêtes du Gerbier. Le sommet est encore caché. Il signifie seulement le début de la partie haute des arêtes.
Pour arriver à l'antécime, on traverse le Couloir du Gerbier. Quelques gradins herbeux refont leur apparition. On a ainsi une vue plongeante sur Villard de Lans et son domaine skiable.
On domine de plus en plus la première partie des arêtes. Le bas des nuages est quasiment à notre niveau.
On alterne éclaircie et assombrissement. Le temps d'un instant, on se retrouve plongé dans une ambiance lugubre mais paisible. L'absence totale de vent sur les arêtes est grandement appréciable.
Quelques géants du Dévoluy se retrouvent également pétris par les nuages
La profonde Vallée du Drac accentue la sensation de vide sur la face Est des Arêtes du Gerbier.
Avant d'atteindre le sommet des Arêtes du Gerbier, nous effectuons une pause déjeuner. L'espace pour se poser est un peu plus large qu'au point le plus haut. La chape de nuages domine toujours la barrière orientale du Vercors, épargnant Grenoble et les autres massifs.
Petite éclaircie pour midi. Sur la suite de l'enchainement Nord du Vercors on aperçoit le Roc Cornafion, le Rocher de l'Ours, la Crête des Crocs, le Pic Saint-Michel et le Moucherotte. A gauche de la barrière orientale, les plateaux de la Molière et de Sornin sont partagés entre ombre et lumière.
Zoom sur Grenoble et son agglomération encadrées par le Pic Saint-Michel à gauche et le Mont Blanc au loin à droite.
Le sommet n'est plus qu'à quelques dizaines de mètres. Un rayon de soleil nous incite à repartir en direction de la dalle sommitale. Il faut d'abord franchir la brèche que l'on aperçoit sur la gauche.
On franchit la brèche puis on reprend pied sur l'arête en direction du sommet.
Le sommet est constitué de ce gros bloc, sans croix ni cairn sommital. Mais avant de l'atteindre, il faut franchir une dalle en dévers appelé ''râteau de chèvre'' dans le jargon alpinistique. C'est-à-dire une dalle avec très peu de prises pour les pieds. On adhère tant bien que mal avec le devant des pieds tout en s'assurant de bonnes prises au niveau des mains.
Du Vercors jusqu'au Dévoluy, la plaine du Triève s'ennuage peu à peu.
Après le sommet, on poursuit encore plus au Sud pour rejoindre la terminaison des Arêtes du Gerbier. Quelques sommets du massif font leur apparition comme les Deux Soeurs et le Grand Veymont, point culminant du Vercors.
Le sommet des Arêtes du Gerbier 2109m et sa dalle sculptée par l'érosion. En bas au centre et à droite, le Pieu 1270m et le Rocher de l'Eperrimont 1441m semblent bien rabougris.
Puis vint le moment tant attendu : les 25m de rappel pour s'extirper des Arêtes du Gerbier. Un par un, le guide nous fera coulisser jusqu'aux gradins herbeux, sous le regard attentif de quelques bouquetins qui se reposent tranquillement en contrebas.
La pression est palpable au moment de se lancer dans le couloir. Assuré par le guide, la corde et la longe, il faut se laisser tomber en arrière pour entamer la descente en rappel. On se guidera par la suite avec nos pieds plaqués contre la paroi pour doucement atterrir sur le sentier.
Une fois le rappel effectué, on chute sur un sentier randonnable cette fois-ci. La partie alpinisme est bel et bien terminée. On rebrousse chemin par un sentier situé en contrebas des Arêtes du Gerbier, vers le Nord. Il s'agit du Sentier Péronnard, le même menant au Pas de l'Oeille, quant à lui un peu plus au Sud.
Une fois la troupe au pied de la paroi, le soleil illumine une dernière fois la partie Sud des Arêtes du Gerbier. Dans le même temps, les bouquetins zieutent que nous nous en allions.
On dévalera les gradins herbeux pour rejoindre le Sentier Péronnard par la langue mi terreuse, mi pierreuse que l'on aperçoit en bas à gauche. Au centre, l'alpage de la Bergerie de la Fauge que nous atteindrons sur la fin de notre expédition.
En mettant pied sur le Sentier Péronnard, les nuages reprennent le dessus. Le Ranc des Agnelons et surtout le Roc Cornafion se retrouvent dans l'obscurité tandis que les communes du plateaux bénéficient encore quelques instants de la luminosité.
Après un court plongeon en sous-bois, on débouche sur l'alpage peuplé de bovins. Encore quelques petits kilomètres avant de rejoindre le parking des Glovettes et ainsi mettre un terme à cette course d'alpinisme vertacomicorienne.
Même si cette traversée se réalise sans difficulté (cotation Peu Difficile). De nombreuses voies d'escalade sont présentes de par et d'autre du fil des Arêtes du Gerbier. Notamment la fissure en arc de cercle située sur le versant oriental du Gerbier. Cette voie est tristement célèbre puisque c'est à cet endroit que l'alpiniste français Lionel Terray, pourtant un des participants de la première expédition française de l'Annapurna en 1950, décèdera d'une chute le 19 septembre 1965.
Grand classique d'alpinisme en plein coeur du Vercors, les Arêtes du Gerbier offrent des paysages à couper souffle, certes accessibles seulement encordé, mais sans grandes difficultés. La progression Nord-Sud y est ludique et permet une très belle initiation à l'escalade rocheuse.
ITINÉRAIRE DE LA COURSE :
- Départ/Arrivée : Parking des Glovettes - km 0
- Collet des Clots - km 1,3
- Alpage de la Bergerie de la Fauge - km 1,8
- Début hors sentier pour Double Brèche - km 3,7
- Sortie de la Double Brèche - km 3,9
- Le Rasoir - km 4,2
- Culmen des Arêtes du Gerbier 2109m - km 4,9
- Rappel (fin de la traversée) - km 5
- Reprise du Sentier Péronnard - km 5,5
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